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Après quelques jours de pérégrination en Sicile, nous prenons le bateau depuis Bari (I), destination l'Albanie et le port de Durrës. Après un rapide passage au bureau des douanes, nous accédons au ferry le Palladio. Nous quittons l'Italie pratiquement à l'heure. Il fait froid sur le pont, nous allons nous réchauffer au bar. Le bateau arrive avec ¼ d'heure de retard à Durrës. La nuit - en cabine - ne fut pas si mauvaise. Nous prenons un cappuccino au bar en voyant les côtes albanaises s'approcher. Elles laissent apparaître une ville de moyenne importance comportant tout de même pas mal d'immeubles. Pendant les manśuvres d'accostage, nous pouvons observer des voitures de construction chinoise vraisemblablement hors service.
C'est déjà la cohue pour les formalités douanières. Le bateau n'est pas à quai - les douaniers albanais devant monter à bord - que c'est déjà une pagaille indescriptible. La plupart des passeports en main sont albanais, mais aussi de la MINUK (la mission de maintien de la paix au Kosovo des Nations Unies). Les passeports de l'Union européenne sont eux très rares. Le bateau accoste, les policiers montent à bord. Ils portent une tenue impeccable arborant l'aigle à deux têtes national. Il s'agit maintenant d'essayer de faire la queue bien que ce dernier terme ne soit pas le plus approprié. Après avoir acquitté les 20 € de taxe d'entrée, nous récupérons nos passeports dûment tamponnés. Nouveau contrôle à la descente et déjà fusent les " taxi ", " euros " … Nous rentrons rapidement dans le vif du sujet. Nous sommes confrontés à une extrême misère. Femmes, mais aussi enfants parfois mutilés mendient. Les routes sont défoncées, les trottoirs chaotiques, la boue et les flaques d'eau sont légions.
Après avoir contourné un mur avec une imposante grille, nous arrivons devant un bâtiment qui se trouve être la gare. La construction de béton armée est assez vaste. On nous fait signer d'acheter rapidement nos billets pour Tiranë car le train va bientôt partir. Nous n'avons pas un lek en poche, je paye avec un billet de 5 €. Une des deux guichetière m'a rendu 170 leks. Elle nous arnaqué, mais après tout… si ça peut mettre pas mal de beurre dans peu d'épinards, ma foi, au diable l'avarice. Solidarité cheminote ! Nous devons presque courir pour prendre le train.
C'est une rame de quatre voiture ex F.S. Les locomotives - les seules que l'on rencontre sur ce petit réseau albanais exploité par les HSH (Hekurudhë ë Shqipërisë) - sont des T669 de construction Škoda (similaires aux 771 des CD). Seule la première assure la traction de cette courte rame. Le moteur est lancé, le train s'ébranle, brinquebalant au fil des rails et des appareils de voie. Nous longeons côté gauche l'atelier wagons, sanctuaire de matériel ouest-européens dépecés, cabossés, éventrés. De l'autre côté se trouve l'atelier locomotive. C'est un véritable cimetière de tas de ferrailles parmi lesquels trônent encore une demi-douzaine de locomotive à vapeur.
Notre train prend de la vitesse sans toutefois dépasser les 40 / 50 km/h. Le paysage est loin d'être désertique, ça et là, on construit des demeures. Les maisons en construstion abordent déjà fièrement le drapeau national ainsi qu'un mannequin ou épouvantail accroché à un pilier, comme le veut certainement la tradition. Sur la toiture des maisons, se trouve bien souvent une citerne. L'eau courante doit souvent être coupée voire absente. Nous longeons l'autoroute Dürres - Tiranë de construction relativement récente. Elle est relativement chargée et bien plus performante que notre train. A Vorë, la première T669 est dételée puis écartée sur une autre voie. " Correspondance pour Sköder ".
Nous arrivons au bout d'une heure à Tiranë au terme d'un voyage de 36 kilomètre. Je fais deux ou trois photos en gare, notamment d'une voiture ex SNCF de type " Bruhat ". C'était la 30-87 20_44 593-3 de gérance Toulouse. Sur une voie de débord, une rame de wagons couverts hongrois des MÁV ce qui indique que des échange ont bien toujours lieu par le point frontière de Hani I Hotit avec la Serbie-Monténégro.
Nous attaquons la visite de la capitale albanaise, mais là aussi, la ville est peu attrayante, les rues transpirent la misère. Cependant, à mesure que nous nous approchons de la place Skanderbeg, le boulevard s'embellit. Là, les bâtiments officiels, les sièges de sociétés ou diverses banques européennes ont quand même fière allure. Une mosaïque représentant certainement le peuple albanais lors la période du socialisme triomphant trône en bonne place sur un grand bâtiment. Une mosquée, un opéra et le Tirana International Hôtel finissent de cerner cette place.
Après un passage au café Wien et deux bières avalées, nous mangeons dans un bistrot attenant à la gare un genre de soupe au goulache et une bière Tirana. Nous prenons les billets pour Elbasan à 160 leks par personne. C'est encore une rame italienne avec en son centre le fourgon BUFE. Deux jeunes garçons d'une dizaine d'année me regardent photographier le train. Leurs regards semblent traduire une forme d'étonnement mais aussi d'émerveillement. Ils finissent par s'installer dans le même compartiment que nous où un quadragénaire a lui aussi pris place. Les enfants n'arrêtent pas de m'observer dans les moindre détails lorsque j'écris ce texte. Ils finissent par comprendre qui nous sommes lorsque je leur dit qu'on vient de " França " et je leur lance un " football Zinédine Zidane ". Le plus grand des deux nous offre une pièce de 10 leks en souvenir de l'Albanie. C'est le monde à l'envers, un Albanais qui donne des sous aux Français ! Lors du passage de la contrôleuse, les billets sont " poinçonnés " à l'aide d'une petite paire de ciseaux à ongle. Notre rame ex FS est vraiment dans un état de délabrement très avancé comme toutes les rame des HSH. Des vitres manquent de partout y compris dans les WC (bonjour l'intimité), les banquettes sont éventrées, très peu d'éclairage et pas du tout de chauffage. Il faut voyager bien couvert par ce mois de janvier ! A noter aussi que le moteur de la locomotive est systématiquement arrêté, y compris lors des arrêts de courte durée, sans que nous puissions y trouver une quelconque explication.
Nous arrivons à Durrës, point de rebroussement. Alors que la T669-1052 repasse en tête du train, quelques femmes ou enfants vendent des fruits ou des chips dans le couloir du train. Nous achetons deux bananes à une mamie pour 50 leks, une fortune ici. Un homme fait paître ses deux moutons tenus en laisse au milieu des voies de la gare. Alors qu'un nouveau voisin de compartiment se roule une cigarette, j'en fais de même. Le septuagénaire me propose de son tabac, je lui fais sentir mon Amsterdamer. Finalement, chacun gardera sa garniture. Il m'offrira quand même du feu.
Le train repart, nous longeons à présent le littoral, la riviéra albanaise. Hôtels, restaurants, campings, clubs de nuit, stations service, le tout formant un écrin assez kitch. Rien ne manque à ce chapelet de stations balnéaires. La ligne s'enfonce dans les terres, le paysage devient plus vallonnée et beaucoup plus rural. Nous descendons faire des photos à Rrogozhinë à l'occasion d'un croisement. Le soleil pointe à nouveau à travers les nuages, ça tombe bien ! Nous laissons partir notre train et décidons de finir le trajet sur Elbasan en taxi. Nous sortons de la gare et descendons vers le bourg. Il y a pas mal de monde dans les rues défoncées de cette localité. Après avoir contourné ânes, chevaux et enfants, nous assistons à la sortie d'un mariage. Enfin, au croisement avec la rue principale, nous abordons un chauffeur de taxi tout en provoquant un attroupement de badauds. Les touristes doivent être fort rares ici. Il nous propose de faire la suite du voyage pour 20 €. Le chauffeur demande à une des curieux de mettre l'enseigne " TAXI " dans le coffre de la vielle Mercedes afin de la dissimuler. Vraisemblablement, le chauffeur va nous transporter " au noir ".
La route est en excellent état, tout juste refaite et élargie. Le chauffeur parle italien, du coup, nous avons droit à une visite touristique des lieux. Le tapis d'asphalte s'arrête brusquement sur une section non goudronnée. La suite du trajet ne sera qu'une alternance de bons et mauvais tronçons. Nous longeons la ligne au loin. Cela fait un bon bout de temps que nous avons dépassé notre train avec notre Mercedes, pourtant nous nous ne risquons pas les excès de vitesse. Au fond, nous pouvons voir les raffineries de Oil Bisah après avoir franchi le passage à niveau de l'embranchement particulier. Enfin nous arrivons à Elbasan après avoir traversé un conglomérat industriel et sidérurgique. Nous quittons notre taxi qui vient de s'enrichir nettement avec mon billet de 20 €. A peine le temps d'avaler sur le pouce une bière, c'est déjà l'heure de repartir sur Durrës. Pas mal de monde sur les quais, un croisement va avoir lieu entre le train que nous avons " lâché " à Rrogozhinë, et celui que nous reprenons. Cet événement donne pas d'effervescence à cette petite gare. Nous repartons avec une rame ex FS et son fourgon BUFE, la T669-1060 assurant la traction de ce convoi d'un autre temps. Là aussi les vitres manquent. Gla-gla dès que la nuit et la fraîcheur tombent, il n'y pas de chauffage dans les trains, les T669 n'étant pas équipés du chauffage train ! Il nous " reste " deux heures et demi (pour 96 km) à faire dans le froid et la saleté. Nous arrivons à l'heure à Durrës. Sur l'autre voie, une ancienne rame ÖBB en meilleur état. Après un rapide tour du centre-ville (qui a meilleure allure que celui de Tiranë), nous dînons dans un petit restaurant. Soupe mouton, pommes de terre, le repas est copieux sans être ruineux pour les rares clients. Enfin, pour finir nos derniers leks, nous sirotons une bière en regardant la pluie qui commence à tomber. Nous nous approchons du port pour commencer à embarquer, la compagnie demandant de se présenter deux heures avant le départ prévu à 23 h 00. C'est dans une véritable marée humaine qu'il faut jouer des coudes pour obtenir la carte d'embarquement et passer la douane. Il nous faudra pas loin de deux heures pour accomplir ces formalités. Puis, rapidement, nous joignons notre cabine et nous tombons dans un sommeil profond après cette dure journée.
Le lendemain, le ferry arrive à 10 h 15 au lieu de 08 h 00. Nous arrivons à sortir rapidement et passer la douane de l'U.E. en premier. Le tour est bien joué, cela évitera de faire la queue avec les quelques huit cents autres passagers. Nous arrivons à attraper une ETR 500 pour Milano Centrale à 11 h 00. Malgré tout, le retard est trop important, adieu correspondance pour Genève et la France, mais ceci est une autre histoire.
En conclusion, nous avons croisé en Albanie des gens certes modestes, mais curieux et prêts à vous offrir quelque chose. J'avais quelques a priori, mais ceux-ci sont désormais bien effacés. Quant à l'avenir de ce petit réseau, on peut être septique vu les performances du réseau routier et sa modernisation en cours. Le salut viendra t-il de l'U.E. qui envisage de relier la Macédoine et l'Albanie (65 km de ligne à construire) afin de relier par fer les ports de Durrës et ceux de Burgas et Varna en Bulgarie via Skopje (Скопје) et Sofia (София) par le corridor paneuropéen n° VIII ? Les travaux de modernisation du port, mais aussi des infrastructures ferroviaires entre Durrës et Tiranë d'une part et Lin d'autre part sur la ligne de Pogradec devraient bientôt être financés et débuter.
Grégory MOSER
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![]() Sur fond de T669, le billet pour faire les 77 km
Elbasan/Durrës coute 120 Leke (environ 0,94€),
économique le train ! |